mercredi 30 juin 2021

Lecture analytique du nouveau modèle de développement

          A peine publié que voici déjà les premiers articles de presse et les premières critiques qui tombent en moins de 24 heures. Nul doute que la pertinence d'une critique aussi rapide n'a que peu de valeur au vu de la teneur du rapport (170 pages assez consistantes). C'est dans cette optique que j'ai souhaité en faire une lecture analytique, page par page, paragraphe par paragraphe, et même entre les lignes parfois, pour essayer d'en extraire ce qui mérite réellement d'être commenté, félicité ou critiqué.
      Avant de passer au cœur du sujet (diagnostic puis solutions et enfin la discussion), faisons un détour rapide par le contexte et la méthodologie qui ont marqué ce rapport. La commission spéciale pour le modèle de développement a été nommée (non élue donc) pour comprendre pourquoi le modèle économique marocain s'essouffle (p17), pourquoi il manque de justice, souffre d'inégalités et ne permet pas de suivre les évolutions mondiales. Passons sur le fait que la commission a commencé par présenter son projet à l'ambassade de France, il convient de se demander quels ont été les principaux critères de sélection des membres de cette commission, critères toujours inconnus à ce jour. L'aspect top-down et représentativité, pourtant tant réclamés dans le rapport, font curieusement défaut à l'origine même de la commission qui l'a rédigé. 

         Sur le volet méthodologique, la commission affirme avoir adopté une approche participative, et recueilli environ 9000 contributions. A la lecture des propos recueillis, on constate que les propos sont souvent reformulés ou lissés, dans l'utilisation du terme désarroi par exemple au lieu de désespoir qui traduit mieux le mot arabe "احباط". Il manque également l'aspect statistique de la représentativité. L'échantillon écouté est-il représentatif des populations et des territoires du pays ? On déplore également l'absence de bilan, même succinct, des résultats des précédents rapports et initiatives, pour pouvoir faire un bilan d'étape complet. La définition du développement, retenue par la commission, reste très vague. Ce flou est directement visible dans le type d'anticipations évoquées (vieillissement, sédentarisation, aspirations aux libertés), dénuées de toute justification chiffrée. Il convient de noter, toujours au niveau méthodologique, qu'au vu de l'absence de tout représentant de savants de l'Islam (savant reconnu des pairs), la commission est plusieurs fois sortie de ses prérogatives en abordant des thématiques religieuses pointues. Au delà cet aspect explicite, d'autres éléments implicites démontrent qu'il existe un sous-jacent idéologique imprégnant les multiples propositions sociétales abordées par le rapport. Nous reviendrons sur ce point à la fin de la discussion (partie 3, la plus importante).

I. DIAGNOSTIC DE LA SITUATION SOCIO-ECONOMIQUE

        Le rapport identifie 4 nœuds systémiques qui sont à l'origine de l'ensemble des facteurs de sous-développement. 
Manque de cohérence verticale : Une vision globale peu claire et peu partagée, vu la non prise en compte des ressources limitées ;
- Economie verrouillée par des logiques de rente, se transforme trop lentement, peu ouverte aux acteurs innovants, avec un manque de régulation ;
- Service public faible avec une logique de gouvernance top-down et un faible suivi ;
- Sentiment d'insécurité et imprévisibilité limitant l'initiative : manque de confiance dans la justice et bureaucratie importante.

1. Politique et gouvernance 

        L'attention du lecteur est très tôt attirée sur la "défiance à l'égard des acteurs" (p24), considérés comme "privilégiés" par les citoyens et "peu soucieux de l'intérêt général", ce qui leur permet de former bien souvent des "coalitions de conjoncture sans vision partagée impliquant blocages récurrents" (p36). Ces coalitions elles-mêmes n'ont de programmes, selon les citoyens, que ceux qui leurs sont élaborés par les cabinets de conseil (p38), du fait des "insuffisances en termes de moyens d’action et de personnel parlementaire de haut niveau de compétence" (p39), ce qui aboutit au sentiment de voir la constitution de 2011 comme ayant eu peu d'effets sur le développement.
        En termes de gouvernance, le rapport relève les zones grises qui entourent la répartition des rôles et des responsabilités entre les niveaux stratégique et exécutif (p36), impliquant une "faible lisibilité des modalités de prise de décision" (p25). "Les citoyens perçoivent certaines imprécisions comme des marges d’instrumentalisation de la loi" (p38). Au niveau des administrations, le rapport souligne une "baisse d'éthique et de qualité" (p24) et des "relations tendues avec l'administration" (p25). En termes de gestion, l'ancienneté compte plus que la performance (p25) et le manque d'initiative des fonctionnaires ne permet pas vraiment d'innover vu qu'ils craignent une erreur fatale (p25). En somme, le service public manque de ressources humaines et de qualité.

2. Education

     D'emblée, le rapport souligne le manque de performance des écoles et la détérioration des universités (p31). Ces dernières forment énormément à des filières faibles en emploi (sans que le rapport ne donne toutefois d'exemples illustratifs). Par conséquent, le chômage est paradoxalement plus élevé chez les universitaires par rapport aux actifs ayant des formations professionnelles et aux autres actifs (p31). Le constat général est donc la faiblesse des ressources humaines et du capital humain dans ce domaine, un bilan déjà connu de tous avec la vision 2015-2030 de l'éducation qui a donné un très bon diagnostic mais un ensemble de propositions dénué de tout fondement prospectif (aucune mention, en plus de 100 pages, sur la forme que prendra la société et l'économie en 2030, voir notre article sur le sujet http://qissaas.blogspot.com/2015/08/rapport-du-csefrs-autour-de-la-vision.html).

3. Social et société

      Outre la "perte de confiance" (p24) qui caractérise l'ensemble de la société marocaine, le rapport souligne d'autres tares telles "l'insécurité économique, sociale et judiciaire", "l'inexistence d'un socle social" et la "panne de l'ascenseur sociale" (p24). Cette absence de sécurité sociale se manifeste par exemple dans le fait que les "ménages assurent 50% dépenses de santé et 38% de la population n'a pas de couverture" (p32). Même les associations de la société civile sont perçues comme prédatrices des aides publiques (p40). Le rapport déplore également "l’affaiblissement de l’offre médiatique," (p39) et la fuite continue des compétences et des cerveaux (p45).

4. Economie

    Le modèle économique marocain actuel est "peu inclusif" et "manque de régulation" (p24). Les "barrières indirectes, telles que les règlementations lourdes ou encore la collusion public-privé dans l’attribution d’autorisations ou dans l’accès à des ressources foncières ou financières" (p36) entravent son amélioration et favorisent le "développement de l’économie informelle" (p25). Ce manque d'inclusion se manifeste d'ailleurs même entre territoires vu que 3 régions sur 12 font 60% du PIB (p32).       Le rapport note par ailleurs que les externalités négatives environnementales nous coûtent 3 points de PIB chaque année (p34) alors même que notre productivité est faible comparativement aux pays concurrents (p31). Nos "facteurs de production sont relativement chers au regard de leur qualité" (p95) et peu compétitifs. Paradoxalement, cela devrait se traduire par une croissance riche en emplois, ce qui n'est aussi pas le cas (p30). Vu que les gains de productivité sont faibles (p31), on se demande d'ailleurs d'où provient cette faible croissance et lequel des deux facteurs l'alimente le plus. Malgré ces constats, le rapport souligne que le Maroc continue de soutenir des secteurs à faible valeur ajoutée (l'âge de nombreux dirigeants a-t-il un lien ?), vu que les "exonérations fiscales profitent encore à certains secteurs traditionnels à faible rendement économique et social" (p36).

II. Propositions de solutions

      Dans la perspective d'atteindre des objectifs tels que "la prospérité, la capacitation (empowerment), l’inclusion, la durabilité, et le leadership régional" (p56), dans le cadre de valeurs telles que "la solidarité, l’égalité des chances, la justice sociale, les libertés, la durabilité, la participation et la corrélation entre droits et devoirs" (p47) ainsi que la "responsabilisation, capacitation, subsidiarité, partenariat, durabilité et inclusion." (p163), la commission identifie 4 voies majeures qui pourront faire du Maroc une nation numérique, un hub académique de l'innovation et la recherche, un champion de l'énergie verte et un pole financier régional.


1. Politique et gouvernance 

        Si certaines assertions laissent entrevoir un éventuel retrait de l'état, "si le fonctionnement traditionnel de l’Etat, porté par la centralité et le contrôle, était approprié à un certain stade de développement du pays et dans un contexte national et international plus prévisible, il s’avère aujourd’hui moins pertinent et peu adapté aux évolutions récentes et encore moins au monde à venir, marqué par l’incertitude. En effet, l’Etat ne dispose pas des moyens et des capacités pour porter seul tous les chantiers de développement de plus en plus complexes, ni en termes financiers, ni en termes opérationnels et d’expertise" (p62) ou encore la "délégation de services publics, notamment dans les domaines de la santé, l’assistance sociale, l’éducation, la petite enfance, la culture, l’économie circulaire et l’insertion professionnelle" (p100), force est de constater que l'essentiel du rapport recommande le renforcement du rôle de l'Etat. C'est assez clair au niveau de la recommandation d'assurer la "complémentarité entre un Etat fort et une Société forte" (p63) ou encore "Réhabiliter le service public et renforcer sa qualité" et surtout la conclusion sans équivoque "en somme, il s’agit d’un Etat plus fort" (p64).
        En termes de gouvernance, le rapport revient sur les dérives liées aux agréments. "L’amélioration de la gouvernance économique nécessite également l’élimination des barrières inéquitables et des situations de rentes injustifiées, la réduction de la bureaucratie, des autorisations, des licences et agréments, souvent sources de corruption et de connivence public-privé, pour les remplacer chaque fois que cela est possible par de simples déclarations ou des cahiers de charges." (p75). Cela peut éventuellement se faire via "l'accès à l’information ouvert, fiable et régulier, dans le respect de la protection des données personnelles" (p76) ainsi que "l’accélération des réformes de déconcentration et de décentralisation" (p67). Pour consolider cela, la réforme du système judiciaire est incontournable, vu que le rapport confirme la corruption dans le système judiciaire en affirmant vouloir "lutter à tous les niveaux du système contre la corruption, source d’abus et d’insécurité pour les citoyens" (p74). Enfin, le rapport prône le "renforcement du rôle des walis" (p131), ce qui contrevient par ailleurs à la volonté de centralité du citoyen.

2. Education

        Clairement, le rapport souligne la centralité de l'éducation : "Sans une transformation profonde du système éducatif, aucun des objectifs de développement du Maroc ne pourra être atteint" (p104). L'objectif est qu'en "2035, plus de 90% des élèves devront posséder les compétences scolaires fondamentales à la fin du cycle primaire, contre moins de 30% en 2020." (p104). Un mécanisme qualité pourra accompagner cette orientation : "mettre en œuvre un mécanisme incitatif de certification-qualité des établissements, sur la base du volontariat de l’équipe pédagogique conduite par son directeur" (p108).
     Pour cela, il faudra renforcer la capacité du corps professoral, "investir dans la formation et la motivation des enseignants pour qu’ils deviennent les garants des apprentissages" (p105) avec la "création d’un Centre d’excellence du Professorat", et "généraliser à tous les futurs enseignants le parcours de formation initiale en cinq ans, qui ne concerne aujourd’hui que 10% des nouvelles recrues". Il faudra également "renforcer l’attractivité du métier auprès des étudiants méritants" (p105) vu que la "mise en place d’un programme de formation de grande ampleur est essentielle à la réussite de ce projet" (p108). Cette formation des professeurs devra accompagner la réorientation des contenus scolaires vers les soft skills : "investir prioritairement dans le recrutement et la formation des formateurs et dans l’ingénierie de formation et notamment pour les soft skills." (p112). Le but est de réorganiser l'école autour des soft-skills et de nouveaux parcours avec un "apprentissage en définissant les connaissances, les savoir-faire et savoir-être" (p105) pour "promouvoir les compétences transversales, notamment la réflexion autonome, la curiosité, la communication et l’esprit de coopération" (p106).
        Parallèlement à cette réorientation, la voie professionnelle devra être priorisée : "valoriser la voie de l’enseignement professionnel, en l’érigeant en filière attractive offrant des débouchés concrets sur le marché du travail. Il est proposé à cet effet de fixer un objectif ambitieux pour que 20% des élèves des collèges et lycées suivent la voie professionnelle, contre respectivement 1% et 5% aujourd’hui." (p106). L'enseignement des langues devra être révisé à la baisse (moins et mieux), "soumettre les choix d’enseignement à des critères d’efficacité respectueux du fonctionnement du cerveau de l’enfant qui peut être confronté aujourd’hui à une saturation face à la charge élevée de l’enseignement linguistique" (p106).
        Au niveau des supports de formation, le numérique devra être privilégié, avec un "écosystème Edtech" (p106), des "MOOC, supports pédagogiques, marketplaces de professeurs particuliers, formations spécialisées ou encore applications pédagogiques et ludiques", une "connexion numérique de toutes les écoles publiques", une "formation massive de jeunes en compétences numériques" (p153) et "dispenser des formations diplômantes à distance, à un nombre élevé d’étudiants et à coût moindre" (p111). Les supports pédagogiques devront être priorisés : "Le recours aux outils digitaux doit être encouragé pour initier les élèves, de manière moderne et ludique, à notre héritage historique et religieux" (p108).
        Pour l'enseignement supérieur, les voies professionnelles seront également à promouvoir (p110). L'université sera à autonomiser davantage, tout en "fixant les objectifs à atteindre : (a) production de publications et brevets, (b) attractivité et employabilité des étudiants, (c) impact sur l’économie régionale et nationale". Le volet financement sera également impacté : "le financement des établissements accueillant ces formations spécialisées mobilisera d’autres types de financement que ceux alloués par l’État, notamment les partenariats public-privé avec des modalités de financement privé et non-lucratif" (p111).

3. Social et société

        Le rapport revient sur la nécessité d'assurer " l’accès équitable de tous les citoyens à des soins de santé de qualité" (p113), de favoriser la prévention (p116), de promouvoir la "digitalisation des registres médicaux" (p115), de "mettre en place la facturation au sein des hôpitaux publics pour assurer que tout service rendu donne lieu à un remboursement" (p115). Il convient néanmoins de garder à l'esprit que cela augmente la bureaucratie vu qu'ils auraient pu s'inspirer de la carte vitale française par exemple, qui permet d'effectuer une visite médicale chez un médecin du privé, directement, sans avancer le moindre euro, et le médecin récupère son paiement automatiquement des services sociaux.
    Ensuite, le rapport souligne l'importance d'assurer une "couverture sanitaire universelle, les allocations familiales universelles, et un revenu minimum de dignité" (p127). La logique est la même au niveau du logement, par une "politique de l’habitat qui favorise la mixité sociale" (p139) avec des "mécanismes de garantie de l’État pour les locataires les plus modestes" (p140) ainsi que permettre de "structurer une offre de logement social au sein même des villes pour contrecarrer la tendance de déploiement de logements sociaux dans les périphéries" (p139). Cette dernière proposition laisse craindre un congestionnement supplémentaire des centre-ville.
        L'économie sociale n'est pas en reste, vu que qu'elle doit devenir un pilier de l'économie, à travers "des incubateurs spécialisés ; ii) développer des centres de recherche et développement pour l’innovation sociale, en collaboration avec les établissements d’enseignement supérieur" (p101), tout en "mettant en place des espaces d’accompagnement (par exemple les incubateurs)" (p122). Cela pourra être appuyé par un "service civique national pour renforcer la participation citoyenne et l’esprit de civisme des jeunes et consolider leurs compétences et leur employabilité" (p122) et un "volontariat rémunéré symboliquement" (p122).

4. Economie

      L'orientation recommandée est que "l’économie doit évoluer d’une économie à faible valeur ajoutée" vers les secteurs à haute valeur ajoutée, "investir dans des activités à fort potentiel" et assurer une "intervention en capital-risque" de l'Etat. La "transformation économique doit générer plus de croissance et d’emplois de qualité pour intensifier la création de valeur et assurer l’insertion de la population active" (p79). L'objectif est "d'établir un cadre macroéconomique au service de la croissance" (p81) avec la "mise en place d’instruments de soutien financier à l’innovation, dont notamment un mécanisme ambitieux de crédit impôt recherche au profit de l’ensemble des entreprises et la création d’un programme d’innovation technologique pour subventionner des projets de recherche technologique et scientifique à fort potentiel économique et des innovations de rupture" (p92) ainsi que "réduire la charge fiscale pesant sur les activités productives et concurrentielles". L'idée est parallèlement de "faire du numérique et des capacités technologiques un facteur majeur de compétitivité", à travers "la densification des offres de formation aux compétences numériques et à l’intelligence artificielle, l’accélération de la stratégie nationale d’inclusion financière par la finance numérique, l’accompagnement à la digitalisation interne des entreprises, et l’accompagnement des startups." (p97). Le secteur NTIC serait le meilleur moyen de garder la souveraineté, l'activité et le dynamisme même en temps de crise... Le secteur du tourisme est également évoqué, à travers la recommandation de diversifier l'offre et accroître le tourisme culturel, sportif et médical (p86)... La leçon du Covid n'a pas été retenue vu l'extrême exposition du tourisme aux chocs internationaux.         Au niveau financier, le tonalité reste dans les louanges de l'existant : Le "Maroc dispose d’un système financier robuste et stable qui constitue un atout pour le développement économique," (p99). Cette robustesse est-elle en lien avec l'état des lieux oligopolistique du secteur ? Constat confirmé par la recommandation d'aboutir à une "concurrence accrue sur le marché bancaire" (p99). Pour optimiser l'utilisation des capitaux, il faudra une "meilleure allocation de l’investissement vers les capacités productives" (p82)... Il reste que cette allocation optimale est tout simplement impossible dans le modèle bancaire à intérêts vu que les investissements privilégiés par les banques sont ceux qui ont le plus de garanties et non ceux qui ont le plus de potentiel de valeur ajoutée. Dans la même optique, le rapport plaide pour un secteurs privé "capable de prendre des risques" (p83), ce qui est également extrêmement limité dans un secteur bancaire basé sur les intérêts et non le partage des risques en "venture capital"... La bancarisation par le numérique est aussi une piste évoquée. "A terme, le Fonds Mohammed VI pourrait évoluer vers une Banque Publique d’Investissement, regroupant l’ensemble des instruments existants d’appui au développement des entreprises (garanties, financement, investissement, accompagnement, promotion etc.)" (p91).         Concernant la bourse, la recommandation est de "développer les marchés des capitaux" (p99), en favorisant "l’introduction en bourse d’entreprises publiques" et "l’introduction de nouveaux instruments et produits financiers de nature à accroître la liquidité du marché avec notamment la mise en place des marchés à terme et des produits dérivés." Cette proposition constitue un risque majeur en soi et une orientation dangereuse des activités boursières actuelles, vers les principales causes qui ont causé la crise de 2008. Ces éléments liés à la bourse sont abordés comme une fin en soi, en visant un "marché boursier dynamique et attractif aux normes de régulation alignées sur les meilleurs standards internationaux" (p156), standards qui ont prouvé leurs carences de manière flagrante et redondante.

III. Discussion

1. Contradictions majeures

        Un certain nombre de contradictions sont présentes, au moins en apparence, au niveau du rapport et nous nous contenterons de mentionner les plus importantes ci-après

Conception de l'Etat : D'une part le rapport recommande de restreindre le périmètre d'intervention de l'Etat sur un certain nombre d'aspects vu qu'il se plaint du nombre important d'autorisations dénoncé (p38), comme diminuer la bureaucratie et "éliminer de manière systémique les barrières administratives et réglementaires" (p88) et la "simplification des procédures" (p44) alors qu'il prône ailleurs plus de régulation et se plaint de la non conformité aux normes (p36).
Le rapport souligne aussi l'importance de la centralité des citoyens alors qu'il souligne le "besoin d'un Etat fort" (p61) et renforce la verticalité du pouvoir.
Il nuance ces contradictions par la clarification : "cette proposition de doctrine ne signifie pas moins d’Etat, mais mieux d’Etat" (p63) et la "complémentarité entre un Etat fort et une Société forte" (p63).

Economie : Le rapport prône d'un coté un système financier robuste alors même qu'il recommande plus tard d'introduire les produits dérivés qui sont la plus grande source d'instabilité financière endogène dans l'histoire ! Le rapport veut "assurer l’adéquation entre l’ambition et les moyens mobilisés en allouant les ressources humaines et financières nécessaires à la mise en œuvre des réformes" (p108) et laisse en même temps la voie ouverte à énormément d'autres chantiers prioritaires sans hiérarchiser les priorités. Au niveau du constat, le rapport déplore le "déclassement classe moyenne" (p24) alors même qu'il se félicite (p25) de la dynamique de croissance, création d'emplois, émergence de classe moyenne...

Gouvernance : Alors même que le rapport déplore la "multiplication d’institutions et d’agences aux prérogatives proches, rendant illisible la répartition des missions, et diluant les responsabilités." (p36), il ne semble pas se soucier de l'inflation des propositions d'institutions en proposant des dizaines d'agences et de nouveaux départements à créer alors que des ministères aux mêmes compétences existent déjà.

Représentativité : Tandis que "le Gouvernement, émanation de la majorité issue des urnes, est responsable de l’élaboration de son programme gouvernemental, qui fait l’objet d’un vote de confiance du parlement, et de son déploiement opérationnel, en alignement avec les Orientations Royales" (p69), le rapport insiste en même temps sur l'importance des Partis politiques : "socle commun à l’ensemble de la Nation pour laisser place à la pluralité des choix partisans de déploiement des politiques publiques" (p163). C'est à se demander quelle utilité aura la production de programmes par les partis, à la lumière de directives déjà en places.
Les "budgets participatifs" (p75), les pistes "d’éclosion de la démocratie participative" (p130) "plaçant la dimension participative au cœur des priorités du Nouveau Modèle de Développement" (p133) et "l’allocation des ressources de l’Etat vers les collectivités territoriales" (p133) au niveau local sont valorisés mais la pratique montre que des budgets d'années passées n'ont pas encore été libéré début 2021 comme pour la ville de Rabat, notamment du fait de la subordination des élus aux walis, ce qui est clairement le mode de gestion "Top-down" dont s'est plaint la commission en début de rapport, ce qui est confirmé par la volonté de "renforcement du rôle des Walis" (p131).

Société : Alors que le rapport recommande de consolider lien social (p57), il prend une orientation vers standards des sociétés avancées individualistes qui ont justement effrité le lien social et éclaté les modes d'intégration non marchands.
Quand on cherche à doubler le taux d'activité des femmes on ne peut pas en même temps pouvoir répondre au problème du chômage des jeunes et les inégalités.
Quand on souhaite gagner plus d'argent à partir des taxes sur les produits nocifs "revalorisation de taxes intérieures de consommation sur les produits nocifs (alcools, tabac)" (p128), il est difficile de convaincre que l'on veut réellement élargir la couverture santé et la sensibilisation préventive.

Education : L'objectif de "rénover les méthodes d’enseignement sur des bases scientifiques" est difficilement conciliable avec la perspective que les "activités d’ouverture, culturelles, artistiques et sportives doivent trouver une place plus importante dans les curricula" (p107), surtout que l'on veut réduire la pression horaire sur les élèves, notamment en réduisant l'enseignement des langues.

Idéologie : Aux cotés de l'intention de garder un ferme ancrage dans le rite malékite, le rapport souligne la capacité d'évolution de ce dernier (p47). Dans le même ordre d'idées, il y est fait éloge de la réforme de la moudawana sans pour autant s'attarder sur l'explosion du nombre de divorces qui a eu lieu les années qui ont suivi cette réforme. C'est peut être dans ce sens qu'il faut comprendre l'invitation à une "interprétation positive de la Constitution, qui s’appuie autant sur les valeurs universelles consacrées par les conventions internationales auxquelles le pays adhère que sur les valeurs ancestrales du Royaume" avec plus de place pour les "Libertés individuelles" (p74), invitation qui se heurte frontalement à la volonté de "moralisation de la vie publique." (p75) ainsi que "l’attachement à la construction du Maghreb, ainsi que l’appartenance au monde arabo musulman." (p159).

2. Financement

        A la lecture des différentes propositions du rapport, on ne peut que se poser une question majeure : Le Maroc a-t-il une cagnotte de 100 milliards de Dollars de côté dont nous ne sommes pas au fait ?

      Peut-on avoir un constat différent lorsque nous prenons connaissance de l'énorme inflation des propositions de commissions, d'agences ,de départements... qui accroît davantage le flou de gouvernance et de zones grises dont s'est plaint le rapport, et donne l'impression que les ministères deviendront des institutions de second rang. Voici quelques exemples : "créer la fonction de Défenseur de l’entreprise, rattaché au chef du gouvernement,"89, "mettre en place des task-forces sectorielles mandatées au plus haut niveau pour réaliser des ambitions sectorielles ciblées" (p90), "création d’un Centre d’excellence du Professorat" (p105), "mettre en place une autorité scientifique autonome et indépendante du ministère de la Santé," (p115), une "structure garante de la stratégie de déploiement de la politique publique de la jeunesse, du financement et des partenariats ; et sur ii) des agences professionnelles de mise en œuvre en charge de l’implémentation des programmes" (p122), "mise en place auprès des Walis d’une administration ad-hoc chargée des affaires régionales" (p131), des "Autorités Régionales de Développement (ARD)" (p132) ", des "Conseils régionaux économiques, sociaux et environnementaux" (p133), "mise en place d’un régulateur indépendant" pour le logement (p139), "mettre en place une Agence Nationale de Gestion de l’Eau (ANGE)" (p143), "mise en place d’une agence marocaine de l’action culturelle à l’étranger" (p159), et j'en passe.

        Les recommandations sont donc pléthore, mais le rapport parle très peu des pistes de financement, mise à part une rubrique assez généraliste en fin de rapport et quelques propositions généralistes comme la "diversification des mécanismes de financement de l’économie" (p98). C'est dans cette rubrique que l'un des points les plus surprenants du rapport saute aux yeux : L'hypothèse de croissance moyenne de 6%/an dès 2025 et 7%/an dès 2030 (p154) !

          Tout lecteur, avisé de l'historique des taux de croissance du pays sur les 50 dernières années est conscient que ce taux soutenu est sans précédent, et la probabilité de l'atteindre, au vu des contraintes du capital humain actuel, est très mince, sachant que la mise à niveau de ce facteur prend des décennies. La première piste pour financer les 4 points de PIB puis 10 points de PIB nécessaires pour ces projets est donc très peu réaliste et très peu probable, au vu de la conjoncture internationale incertaine. "Les réformes et projets proposés dans le NMD nécessiteront des financements publics additionnels de l’ordre de 4% du PIB annuellement en phase d’amorçage (2022-2025) et de l’ordre de 10% du PIB en rythme de croisière à l’horizon 2030" (p154)

      La seconde piste pour financer ces réforme, la plus dangereuse de toutes, est celle de la dette à intérêts : "Un recours accru à l’endettement à court terme est incontournable" (p155), le "recours à l’endettement pourra s’appuyer sur les opportunités offertes sur le marché des capitaux, le recours aux opérations de gestion active de la dette ainsi que sur les opportunités de financements concessionnels et la panoplie de mécanismes de financement disponibles dans le cadre des partenariats internationaux" (p155) (énumération de concepts plus flous les uns qui les autres, et qui ne changeront rien au cœur du problème : la dette), pour finir avec le "développement du marché de la dette privée" (p99), la piste d'excellence pour accroitre l'instabilité et renvoyer le problème de remboursement vers les prochaines générations : nos enfants. Cette trilogie est la consécration de l'accélération du processus de détérioration de nos ratios d'endettement, qui sont passés de 65% du PIB en 2019 à 90% du PIB prévu en 2021. Soit une augmentation de la dette de près de 50% en 2 ans, une sorte de record dont personne ne pourra jamais être fier. La dette est le couteau sous la gorge des pays, posé par les banquiers internationaux, l'épée de Damoclès qui fait perdre sa souveraineté aux individus et aux nations. Les historiens de l'économie savent que la dette est depuis 400 ans un moyen de pression géostratégique fracassant et un outil de domination face auquel l'endetté ne peut que perdre davantage son indépendance et sa liberté. L'excellent ouvrage de Charles Kindleberger, ancien professeur au MIT (Histoire mondiale de la spéculation financière) montre comment depuis 400 ans, l'histoire se répète et les pays ne font que tomber les uns après les autres dans le piège de la dette intérieure et extérieure, au profit des plus puissants. Les taux d'intérêts sont un autre facteur d'amplification des cycles, d'instabilité, éléments que j'ai largement expliqué dans mon interview ci-après : https://www.youtube.com/watch?v=z0R2jMMbJKA et précédemment lors d'un colloque scientifique https://www.youtube.com/watch?v=32ZWzk34a4k ainsi qu'au niveau des Cahiers de la finance islamique de Strasbourg (CNRS) à partir de la page 76 : http://www.ifso-asso.com/wp-content/uploads/2013/06/Les-Cahier-de-la-FI-6.pdf.

       La troisième piste pour financer ces réformes est, sans surprise, l'augmentation de la pression fiscale sur le citoyen. "Des recettes fiscales devront être mobilisées et allouées spécifiquement au financement public de la composante solidaire de la couverture médicale (équivalent RAMED)" (p114), en plus de la "mise en place d’un impôt de solidarité sur le patrimoine non-productif" (p128) sans oublier "l’amélioration de l’équité fiscale, l’élargissement de l’assiette fiscale, l’intégration du secteur informel" (p155) et "s’appuyer sur le Fond d’Equipement Communal dont les capacités devront être renforcées" . En somme, davantage d'impôts et d'avantage de citoyens payant les impôts avec une "rationalisation des dépenses fiscales et l’intégration de l’informel" (p98). La pression fiscale étant déjà énorme au Maroc, autour de 50% entre les différents impôts (IR/IS, TVA, Patentes, CNSS, Cotisations, Vignettes, timbres...), cette piste risque de nous ramener vers la fameuse loi d'Ibn Khaldoun (plus tard dévoyée par l'occident et renommée loi de Laffer), qui démontre qu'à partir d'un certain taux d'imposition et de pression fiscale, les recettes d'impôts commencent à reculer. L'idée est d'ailleurs renforcée par la recommandation de mettre en place des frais de scolarité variables au niveau des universités et établissement publics d'enseignement supérieur vu que "financement des établissements d’enseignement supérieur publics proviendrait du budget de l’Etat mais aussi en partie, pour ceux qui en ont les capacités, des frais de scolarité assortis d’un mécanisme de bourses sociales et de mérite, et accompagné du développement d’une offre de prêts étudiants garantis par l’Etat."(p111).

3. Posture idéologique

        Il convient ici tout d'abord de souligner qu'un vice majeur de constitution entache la composition de la commission dans la mesure où elle s'est attardée sur des aspects religieux alors qu'aucun des 35 membres ne représente le conseil supérieur des oulémas ou un savant malékite communément reconnu par ses pairs au Maroc. La commission est donc, à chaque fois qu'elle aborde ces aspects, hors de son périmètre de compétence.

     Tout au long du rapport, le second triptyque de la devise nationale (la nation) et le troisième triptyque (le roi) sont réaffirmés et consolidés. Cependant, le premier et le plus important (Dieu), et ce qui le représente, à savoir l'Islam, sont implicitement évoqués. Ainsi , ce dernier est compris comme "L’islam vécu et pratiqué dans la tolérance et l’ouverture" (p13) et une "pratique de l’Islam faite d’ouverture, de modération et de dialogue" (p47). Le rapport ne mentionne pas les dimensions dans lesquelles doit s'inscrire cette modération, car la modération n'a de sens que par rapport à un excès. Or de quels excès parle-t-on ? Ceux des boîtes de nuit, ou ceux des bars, ou encore ceux des casinos, des banques et des assurances, ou encore des excès boursiers ou des excès de corruption ? Cet Islam adoptera une "Doctrine spécifique de l'Islam marocain" (p29). Il convient ici de nous préciser les différences entre l'Islam marocain et l'Islam comme religion, sont-elles des différences de crédo, de pratique ou simplement des différences culturelles qui n'ont rien à voir avec les fondamentaux cultuels ? Qu'entend-t-on par Islam dans cette phrase ? Par ailleurs, est évoquée 'la spiritualité, sa définition synthétique de la religion comme foi et comme civilisation". Il aurait été souhaitable d'expliciter ici le lien entre spiritualité et civilisation, entre un aspect purement dogmatique et cultuel avec la praxis et l'histoire de plusieurs sociétés. En pratique et en clair, aucun indicateur de mesure sur l'épanouissement religieux n'est fourni, le religieux n'est plus que sur la défensive, on ne cherche plus qu'à grignoter du terrain progressivement, ce qui est catastrophique pour le futur et l'épanouissement religieux ainsi que la conformité aux principes de l'Islam au Maroc (p60).

        Venons-en maintenant aux fondements philosophiques implicites que l'on peut relever dans ce rapport, bien qu'ils ne sont jamais explicitement évoqués. Mais tout lecteur avisé aura relevé les sous-bassements conceptuels que l'on peut identifier dans un certain nombre de propositions. Sur quelle vision du monde s'appuie ce rapport ? A vrai dire, nous pouvons relever 4 orientations philosophiques majeurs qui évoluent de concert dans un certain nombre de paragraphes.
Tout d'abord, c'est sur une vision matérialiste de la société, aux antipodes des enseignements spirituels de l'islam, que gravitent un certain nombre d'idées. On constate un glissement inéluctable vers une vision de société matérialiste individualiste important la modernité libérale, lorsqu'on donne la priorité à la croissance dans l'intégration sociale, plutôt que sur les liens spirituels, sociaux et familiaux : "inclusion par la croissance, le travail, la mobilisation citoyenne et le renforcement du lien social" (p79). C'est l'autoroute vers la dislocation progressive de la société en une seule génération, et l'envoi des personnes agées vers les maisons de retraite, ainsi que toute personne qui ne participe plus à la croissance. Le citoyen est d'abord un producteur, un travailleur. On tombe dans la dialectique marxiste qui est pourtant bien désastreuse en termes de conséquences, mais le constat devient vrai pour un certain nombre de sociétés, notamment occidentales, et nous nous orientons vers ce mode de vie sociale. Le travail étant déjà le premier facteur d'intégration sociale en France par exemple, perdre son rôle de travailleur et de contributeur à la croissance c'est perdre sa place de citoyen, bien qu'on garde sa carte d'identité... voir les travaux du sociologue Sainsaulieu en ce sens. Cette vision est confirmée par le fait que les personnes âgées ne sont évoquées que sous le prisme d'un fardeau pour la société (les aider, leur faciliter le logement, le revenu minimum... mais jamais sous le prisme de leur sagesse, de leur place symbolique, de leur histoire et leur rôle de représentant et coordonnateurs de la famille). S'il fallait encore un indicateur confirmant la vision sous le prisme de la philosophie matérialiste de la société future, prenons la revendication de l'égalité hommes-femmes : "la résorption des inégalités hommes-femmes, notamment en matière d’accès à l’emploi, générerait un supplément annuel de croissance du PIB entre 0,2% et 1,95%" (p119), voilà donc le vrai moteur de la revendication, qui botte en touche les aspects idéologiques sur la question.
Cette vision matérialiste est confortée par une posture libérale en termes de vision de la chose publique. Le matérialisme ne pouvant évidemment pas proposer de valeur métaphysique et d'origine spirituelle, il trouve son confort dans une posture libérale, équidistante de l'ensemble des postures philosophiques existantes, perçues comme une production purement humaine, liée aux interactions historiques et sociales des civilisations, mais ne proposant aucun référentiel pouvant servir d'arbitre suprême et absolu. Tout est donc permis, tant que cela est validé par la majorité et tout est sujet à évolution si la majorité change d'avis. C'est dans ce sens qu'il faut lire la propsition de "sanctuariser les libertés individuelles" (p13) ainsi que "Le renforcement des libertés individuelles et publiques" (p74).
        Tout naturellement, la philosophie matérialiste, qui ne reconnaît pas l'existence d'entités invisibles, ne saurait proposer d'autre cadre de pensée que celui de l'humanisme, mettant l'homme au centre du monde, plutôt que le créateur tout puissant. Ce néo-humanisme implique que les valeurs sociétales ne sont plus divinement inspirées et récompensées, mais civiques : "encourager les comportements conformes aux valeurs civiques (honnêteté, tolérance, respect, coopération, solidarité…)" (p107). C'est l'aspect civique utilitariste qui compte et non plus l'aspect moral religieusement inspiré. On cherche "une éthique empreinte de valeurs humanistes ancrées dans l’identité marocaine" (p102). La religion n'est plus prise en soi d'un point de vue transcendantal, mais à travers le prisme des valeurs utiles qui y font référence, donc le socle de base n'est pas religieux, mais l'utilitarisme conséquentialiste : "l’école marocaine doit consacrer son rôle en matière de transmission des valeurs qui font référence à l’histoire et à la religion telles que vécues au Maroc" (p106) et participer à "rénover l’approche de l’éducation islamique et civique" avec une "éducation religieuse qui véhicule des valeurs civiques fondées sur notre héritage spirituel ouvert et tolérant". "Cet enseignement doit puiser dans notre référentiel religieux et spirituel pour promouvoir des valeurs positives, universelles et civiques" (p107). On y parvient donc finalement : Ce sont les aspects civiques et universels des valeurs qui sont le critère ultime de rétention, et non leur inspiration divine. Il en découle, tout naturellement, l'obligation de respecter la différence en soi "développer la capacité à vivre-ensemble sans exclusivité ni exclusion, en favorisant le respect des différences", dans une vision relativiste réfutant tout référentiel absolu dans la considération de l'éthique et des valeurs.
        Comment cela se décrète-t-il au niveau sociétal ? Par une laïcité non avouée mais souhaitée. La religion n'est plus évoquée que pour perdre du terrain : "renforcer leurs droits en cohérence avec les principes de la Constitution et sur la base d’une lecture contextualisée des préceptes religieux (Ijtihad)" (p121). La paradigme de lecture contextualisée des textes, seulement, contrevient bien évidemment aux fondamentaux jurisprudentiels qui confirment que l'enseignement du texte ressort de la portée générale du fait, et non de son contexte seulement. On va alors chercher à "mettre en cohérence l’ensemble du corpus juridique et légal avec les principes constitutionnels visant l’égalité des droits et la parité" (p121), pour conforter davantage une société intégrant de facto la théorie du genre et l'égalité absolue entre hommes et femmes, faisant fi des spécificités indiscutables de l'homme et de la femme en Islam. "L’attachement à l’égalité femmes-hommes" (p56), "Autonomiser les femmes et assurer l’égalité de genre" (p119),"permettra aux femmes d’être plus autonomes" (p120), "une réforme du Code pénal et l’amendement de la loi 103-13 afin de couvrir toutes les formes de violence et de harcèlement, y compris au sein de la sphère privée, et de simplifier la procédure liée à la notification et à l’instruction de cas de violence contre les femmes" 120 "Promouvoir et développer la compréhension des valeurs d’égalité et de parité et assurer une tolérance zéro pour toutes les formes de violences et de discrimination à l’égard des femmes." sont autant de propositions qui visent à consolider cet état de fait, alors que la violence des femmes vis-à-vis des hommes n'est jamais évoquée dans ce rapport, bien qu'elle existe et est encadrée par certaines associations, de même qu'elle existe sous forme d'harcèlement moral de la même manière. D'ailleurs, le rapport note que "La femme est considérée d’abord à travers son rôle de mère ou d’épouse, tandis que sa capacité et son droit à réaliser ses ambitions et à participer à la création de la richesse ne lui sont pas pleinement reconnus." (p40), "L’inflexion de ces représentations est un processus de longue haleine et requiert un changement des mentalités."... On nage en plein dénigrement de la femme et de ses rôles naturels ainsi que des positions symboliquement supérieures de la mère dans notre référentiel religieux, pour laisser place aux priorités économiques et infléchir cette représentation symbolique du rôle de la mère dans notre société, voir le casser complètement, pour faciliter sa mise de coté en maison de retraite, quand cela est possible peut-être, sans avoir cela sur la conscience. Il s'agit également de "faire avancer le débat sur des questions sociétales, telles que l’interruption volontaire de grossesse (IVG), le statut social des mères célibataires, le mariage des mineures, et la tutelle juridique des enfants" (p121). Il faut donc entendre par faire avancer le débat, refaire jaillir ces problématiques dans l'aspect qui contrevient aux considérations religieuses. On ne lit jamais dans ce rapport qu'il faut plus de religion, mais toujours moins. L'exemple de l'héritage et du "Ta'ssib" est édifiant, ou le rapport souhaite "accorder la tutelle légale des enfants aux deux parents. Dans le cadre de ce débat, et concernant l’héritage, il peut être envisagé que le Ta’ssib ne soit plus considéré comme option par défaut, mais de le soumettre à une appréciation des juges dans son application suivant une approche au cas par cas, et selon des critères renvoyant notamment à la responsabilité du parent revendiquant le droit à la ‘issaba dans le soin et la protection du défunt de son vivant." (p121). La laïcité avance, la religion recule.

CONCLUSION

    En somme, le rapport recycle des pistes connues (éducation, santé, recherche scientifique, corruption...), avec la volonté d'une "lutte vigoureuse contre la corruption, contre l’accès à des privilèges indus et contre les situations de conflits d’intérêts." (p44), mais avec peu d'audace et peu de pistes innovantes. Il ne manque pas de critiquer l'état des lieux tout en appuyant des louanges sans fin à l'état des lieux : "singularité du modèle de développement du Royaume où l’Institution monarchique est la clé de voûte de l’Etat, le symbole de l’unité de la Nation, garante des équilibres, porteuse de la vision de développement et des chantiers stratégiques de temps long et du suivi de leur exécution au service des citoyens" (p62). D'ailleurs, les échecs sont systématiquement adossés aux gouvernements successifs (p30) et aux parlementaires, parfois vu comme incompétents. Les 4 nœuds systémiques ne sont pas assez clairs et maintiennent un flou incompréhensible. On tombe parfois dans un romantisme dont on se demande d'où il vient, "une citoyenneté réenchantée" (p78). Le rapport contient également énormément de généralités et de propositions floues voire vides de sens comme "devenir le hub multisectoriel le plus attractif de sa région" (p90). Le rapport contient énormément, trop même, de répétitions sur des concepts tels que la création valeur, les emplois, la soutenabilité, le renforcement de l'Etat... Le style narratif et littéraire en fait un rapport trop long qui aurait pu tenir en 50 pages au lieu de 170 sans perdre d'information utile. L'Etat est souvent présenté comme une entité indépendante, parallèle, loin de son aspect purement représentatif et d'agent pur et simple au service total du citoyen.
     Ce qu'il y a de plus poignant dans ce rapport est sans aucun doute le cri de colère des différents citoyens en tout début de rapport.
        Au niveau des recommandations, il est inutile de rappeler qu'à force de vouloir tout réussir, on finit par ne rien réussir. Le nœud systémique politique est le grand absent du rapport, car abordé superficiellement et jamais avec la profondeur qui se doit. La dette sera creusée davantage, elle sera certaine mais pour des résultats incertains. L'Etat sera encore plus présent dans l'économie, et absorbera encore plus de taxes. Les pistes de développement économique sans endettement sont ignorées magistralement, et l'économie participative et les modes financiers participatifs sont complètement esquivés. Il est utile de rappeler les failles et de réussir le diagnostic, mais il est bien moins évident d'avoir le courage et la pertinence de nommer les priorités et d'appeler les choses par leur nom.

2 commentaires:

  1. Selam aleykum, bonjour - J'ai mis 2 fois cette question, je ne sais pas vraiment ou l'écrire, sur un article récent ou pas récent, désolé

    J'ai une petite question par rapport à Laymoon en fait. Est il possible de mettre un système de don en place ? Pour mieux faire avancer l'application et la rendre plus rapide et sans défauts vous voyez

    Le système de don d'argent en soi est-il halal ? Si c'est halal, quels seraient les critères à respecter svp

    Merci monsieur Talal

    Selam Aleykum

    RépondreSupprimer
  2. Bonjour Dr Talal,j'espere que vous allez bien
    Je suis un jeune immigrant au Canada, et je cherche à acheter une voiture neuve par un financement qui respecte les principes de l'islam
    Y en a qui m'ont dit que financement avec la maison mere par exemple toyota ou leasing sont 2 voies conformes a la chariaa , je veux votre avis et qu est ce que vous me.conseillez , merci

    RépondreSupprimer