jeudi 24 août 2017

Finance islamique et crédibilité scientifique : Réponse à Fouad Laroui

Réponse à M Fouad Laroui et son article disponible sur http://fr.le360.ma/blog/le-billet-de-fouad-laroui/banque-islamique-et-physique-quantique-132363

Ne sommes-nous pas capables de produire un grand ijtihad, courageux, à l’instar d'économistes tels que Maurice Allais ou Joseph Stiglitz, ou de mouvements éparses et sporadiques tels que « Occupy » ou ceux de « La pensée décoloniale », pour dépasser le stade de suivisme passif dans lequel nous baignons, et sauter quelques étapes pour apporter quelque chose de libérateur à l’humanité, tout en rappelant que le modèle économique occidental, longuement vendu comme épanouissant, nous a amené à des inégalités économique jamais connues (1% de la population mondiale détient 99% des richesses, 8 personnes détiennent autant de richesses que 3 500 000 000 de personnes), des crises destructrices sans précédent (plus de 50 crises le siècle passé) et une destruction de l’environnement jamais connue jusqu’alors (ressources fossiles produites en 100 000 ans consommées en 100 ans) ?

La discussion de sujets ayant fait l’objet de milliers de publications scientifiques tels que la finance islamique mérite quelques efforts sémantiques qui dépasseraient l’horrible onomatopée « Bla, bla, bla » juxtaposée d’une manière qui inspire la comparaison avec « Moudaraba, moucharaka ».
Il devient alors évident que la raison qui porta « la confusion à son comble » est la non maîtrise d’un sujet, pourtant bien plus aisé à aborder que « L’équation de Schrödinger ou les diagrammes de Feynman »… si si, je vous l’assure. Une des caractéristiques nobles de la communauté scientifique, du moins celle qui a eu l’honneur, mais aussi la responsabilité, de porter le titre de docteur, est de ne pas s’aventurer à expliquer un sujet, simplement parce que l’on est d’un domaine voisin. Le diable ne se cache-t-il pas dans les détails ? 
أليس نصف العلم أن يقول الانسان لا أعلم؟
       En réalité, on ne s’aventurerais guère en avançant que l’écrasante majorité des enseignants d’économie ne comprennent rien à la finance islamique. Ce n’est pas un reproche, mais simplement un constat d’étape, dû à l’absence de la discipline des programmes pédagogiques et andragogiques. Notre discipline, à l’instar de la majorité des disciplines actuellement, a traversé le moule de la pensée coloniale, qui s’évertue à s’approprier découvertes et enseignements qui ne sont guère les siens, en nous enseignant que Laffer est celui qui nous apprend que « trop d’impôt tue l’impôt » pourtant avancé globalement par Al Mawardi vers l’an 1000, ou encore que les cycles sont théorisés par Kitchin, Jugglar et Kondratiev, alors qu’ils l’ont été par Ibn Khaldun 5 siècles plutôt, que la théorie quantitative de la monnaie est attribuée à Fischer (1933) alors qu’Al Maqrizi la discute 5 siècles plus tôt, ou encore que que Gresham est le père du fameux « la mauvaise monnaie chasse la bonne » alors qu’Al Ghazali l’énonce, Ibn Taymiyah l’approfondit et Al Maqrizi la formule également. Pour être bref, limitons-nous à notre domaine économique, sinon il y aurait matière à écrire des ouvrages sur le pillage intellectuel, l’un des lieux les plus inspirants en ce sens étant le Musée des arts et des sciences islamiques à Istanbul.

Quel besoin avaient donc ces érudits pour nous créer une usine à gaz telle que la finance islamique ? L’Islam est à la base fondé sur la simplicité. C’est la complexité du cadre économique actuel qui rend l’extraction de ce dernier vers plus de simplicité une aventure parfois élaborée. Revenons tout d'abord à un point : « Seuls les Juifs avaient le droit de prêter avec intérêt. (voir le Shylock de Shakespeare dans Le marchand de Venise) ». Cette approximation mérite une précision de taille, à savoir que l’intérêt est également interdit aux juifs (cf Tarbit Exode 22/25 et Levitique  25/34-46), mais que ces derniers s’en sont en quelque sorte « affranchis par eux-mêmes »  (est-ce cela l’ijtihad, se faufiler entre les prescriptions divines ?) après la captivité de Babylone, mais l’interdisent encore entre eux. Ssi Laroui a surement connu l’époque des Mellah où les « Hazzan » pratiquaient « Rhina » avec les musulmans, mais pas entre eux. Le coran nous éclaircira surement sur ce point et dissipera les doutes subsistants : 

فَبِظُلْمٍ مِّنَ الَّذِينَ هَادُوا حَرَّمْنَا عَلَيْهِمْ طَيِّبَاتٍ أُحِلَّتْ لَهُمْ وَبِصَدِّهِمْ عَن سَبِيلِ اللَّهِ كَثِيرًا  وَأَخْذِهِمُ الرِّبَا وَقَدْ نُهُوا عَنْهُ وَأَكْلِهِمْ أَمْوَالَ النَّاسِ بِالْبَاطِلِ

       Il semblerait que l’Eglise ait aussi fait ce grand pas d’Ijtihad, et « finit par se rendre compte que tout cela était absurde ». C’était en 1822, pour préciser. L’intérêt fut de tout temps interdit* (Luc 6/34-36), puis fut ‘’légalisé’’ par l’église le 3 juillet 1822 sous la pression des bourgeois et des rois. D’ailleurs, ironie du sort, cette église qui finit par se rendre compte de ‘’l’absurdité’’ et semble soudainement recommander aux gens de s’orienter vers le ‘’bla bla’’ économique : Le Vatican recommande maintenant de s’inspirer des règles de la finance islamique afin de restaurer la confiance parmi leurs clients en ces temps de crise économique.
N’est-ce pas justement pour éviter ces excès aristotéliciens que le Vatican fait cette recommandation, après que son journal officiel ait dénoncé la spéculation alimentaire puis recommandé la finance islamique ? D’ailleurs, en parlant d’Aristote, dénonçait-il seulement l’excès dans l’intérêt ? En -384, il le qualifiait de détestable, car la monnaie est créée pour l’échange et non comme fin en soi, elle est donc détournée de son but premier. Il dit surtout, dans Les Politiques : « On a donc parfaitement raison de haïr le prêt à intérêt…Ainsi de tous les moyens de s’enrichir, c’est le plus contraire à la nature ». Ah, voilà donc Aristote qui l’estime, par essence, contre nature, et pas seulement dans l’excès. Il y aurait donc un problème existentiel dans l’intérêt lui-même.
Maintenant, pouvons-nous encore prétendre que « L’usure, c’est demander des taux d’intérêt exorbitants, plus de 20% par exemple ». Après Aristote, les Juifs et les Chrétiens, c’est surtout le Coran qui détaille davantage et tranche la question : « Et si vous vous repentez, alors vous avez seulement droit au nominal ». Eh bien, pas même 2 ou 3% ? Non, car le prêt est à la base un acte de charité dans le corpus islamique, et non une transaction.
Alors, « sommes-nous moins intelligents que nos amis chrétiens » ? Justement, non, il nous arrive parfois d’être même plus intelligents, en proposant un modèle qui ne conduit pas aux catastrophes économiques constatées en début d’article.

Pour finir, elle paraît tellement redondante l’anecdote de votre amie au foulard sur la banque participative. Elle découle d'une intention initiale louable mais d'un manque de visibilité sur le sujet. Votre amie trouve que c’est plus cher, et donc que cela n’a rien d’Islamique. Je suis sûr que cette même amie, si elle était en Europe et que la viande de porc était moins cher que la viande halal, elle aurait quand même déboursé plus pour acheter le halal, même s’il subit un process de production plus cher et plus long. Pourquoi alors cette dissonance comportementale chez nous ? Pourquoi ne dit-elle pas qu’ici, il y a de l’intérêt quelque part ? C’est tout simplement soit une question de faiblesse dans la croyance, et que certains sont prêts à faire l’illicite si cela leur rapporte beaucoup, mais que pour quelques dirhams de différence, on se permet de rester dans le licite, soit c’est une question de logique avec soi-même dans la mesure où l’on est prêt à accepter certaines contradictions dans notre pratique vis-à-vis de notre foi, sans broncher, mais en parvenant à bien dormir la nuit en pensant qu’on a finalement échappé à une arnaque !


Post-scriptum : Ce n’est pas parce que ces approximations ont été rapidement éclaircies que nous pouvons pour autant marginaliser notre esprit critique et soutenir que les pratiques actuelles des banques dites islamiques sont en phase avec la vision économique de l’Islam. Oh que non, bien au contraire. Il arrive que certaines de ces mêmes banques tombent dans l’illicite (tout comme chaque musulman tombe d’ailleurs dans l’illicite) et cela vaut aussi pour celles qui viennent de se lancer au Maroc, qui nous offrent un contrat mourabaha à peu près convenable mais qui lui accrochent une promesse d’achat contraignante qui biaise la légitimité de l’ensemble de la transaction.

*Il y a usure lorsqu’on demande en retour plus que ce qu’on a donné (IBANES La doctrine de l’Eglise et les réalités économiques du 13e siècle, Ed PUF p 16).
Ambroise l’Evèque considérait que les usuriers se verraient refuser la paix éternelle.
Le concile de Paris en 1312 réclame l’excommunication des laïcs coupables de prêt à intérêt.

4 commentaires:

  1. Pas besoin d'être un mufti et encore moins un économiste pour se rendre compte que l'auteur de l'article du 360 ne cherchait surtout pas à expliquer " la tendance " du sujet. Les comparaisons toutes biaisées et sans fondement divulguent l'incompétence et les intentions les plus intimes de l'auteur. Même son propre style le déçoit quand il écrit : " Quel besoin, GRANDS DIEUX, AVAIENT-ILS besoin de créer cette usine à gaz de finance soi-disant islamique?
    Un tel passage est largement suffisant pour nous épargner tout en restant courtois sur le statut de " safih " bien mérité d'ailleurs !

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  2. Le temps, la recherche et la passion que vous avez déployé en répondant à cet article, avec une telle rationalité, objectivité et une telle noblesse, est vraiment admirable !

    Je vous souhaite une très bonne continuation !

    وفقكم الله

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  3. Bravo sso Talal, juste je pense qu'il fallait également donner quelques details sur la difference entre la notions "usure" pratiqué depuis trés longtemps et qui est prohibé par l'Islam, et la notion de "l'interet" qui est apparu avant quelques siécles sous une autre forme de l'usure et qui est ègalement prohibè par l'Islam, resultat: deux appelations=》meme notion.ce point va faciliter la tache pour quelques économisted qui veulent comprendre et faire comprendre.

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