vendredi 3 mars 2017

Comment lire et que retenir des circulaires finales sur les banques participatives?


Promesse contraignante, Qabd hukmi, Haamish jiddiya, Tawarruq organisé... Voilà des mots peu communs qui reviendront sans aucun doute de manière récurrente dans les semaines à venir. Et pour cause, les circulaires tant attendues sur les banques participatives ont été rendues publiques le Vendredi 3/3/2017. Comment peut-on lire et comprendre ces circulaires? Que peut-on en tirer comme enseignements majeurs? Quelles sont leurs principales implications? 



       Trois circulaires viennent d'être rendues publiques au sein du BO, et elles concernent la finance participative dans certains aspects qui peuvent sembler relever du détail technique, mais dont les implications sont déterminantes pour le futur de l'industrie au Maroc et pourquoi pas, osons le dire, en Afrique, pour un Maroc qui se veut hub financier africain.
       Dans la première circulaire, on apprend que la récupération de la marchandise peut être validée par ''al qabd al hukmi''. En clair, comprendre qu'il suffit de signer un papier pour valider complètement un transfert de propriété, et de re-signer un autre papier une minute plus tard pour re-transférer la propriété. D'un point de vue boursier, cela permet au daytrading et au trading à haute fréquence, pas encore d'actualité, d'entrer de plein pied dans les transactions financières participatives, vu que ce point est un avis du CSO qui reviendra certainement pour les marchés financiers. A l'échelle des banques, avec cet avis, le métier n'entamera pas de mutation fondamentale.

       Concernant la Murabaha, elle ne peut porter sur des devises, qui doivent donc être payées au comptant. Le Forex est donc globalement mis à la porte pour les banques participatives. A rebours, la décision n'est pas valable pour l'or et l'argent, contrairement aux avis de l'Académie internationale du fiqh et de l'AAOIFI. Il sera donc possible, au Maroc, de vendre de l'or et de l'argent à terme. Les biens achetés par une murabaha, eux, auront des prix définitifs. Ainsi, la révision à la hausse du prix n'est pas possible. Quid des pénalités de retard? Elles font leur apparition dans l'article 9, à travers des dommages que la banque peut réclamer et donc le plafond sera fixé par BAM. Ces dommages doivent être réels et documentés. Si le client choisit de faire un RPA (remboursement par anticipation), la banque n'est contractuellement pas tenue de lui accorder une remise, vu que le prix est définitivement fixé. Elle peut pour autant pratiquer cette remise de manière inconditionnelle et unilatérale (Article 7). Le bien objet de Murabaha ne peut faire l'objet d'un rachat avant la fin des paiements. Il ne doit pas non plus être racheté pour être revendu afin de procéder à un rééchelonnement de dette. Les montages destinés à répliquer certains procédés d'endettement communs en Malaisie sont ici écartés.
       Concernant la murabaha au donneur d'ordre, il est important de relever le point lié à la promesse contraignante, à l'instar de la majorité des banques islamiques dans le monde. La promesse devient contraignante dès lors que la banque a acquis le bien (article 11). Il sera également question du ''haamish al jiddiyah'' qui sera un montant prélevé lors de la formulation de la promesse et qui servira à combler d'éventuelles pertes subies par la banque en cas de rétractation du client sur l'achat qu'il a promis. Ces pertes ne pourront en aucun cas dépasser le préjudice subi (article 13). La nouveauté est que même le client peut réclamer réparation si la banque lui fait subir un préjudice. Ces opérations doivent se tenir en 3 actes distincts, et la promesse formulée par le client ne saurait être aussi formulée par la banque et devenir mutuellement contraignante (article 14). En point d'honneur, relevons l'article 16 qui mentionne qu'aucune opération ne pourrait avoir lieu si l'objet d'utilisation des fonds ou des biens et services est illicite (ou illégale). Cela dépendra de comment doit-on comprendre ''mashroo". Une telle mesure oblige les banques participatives à surveiller de près les activités qu'elles financeront, et la destination des biens qu'elles loueront (l'ijara porte la même norme) et vendront.

       En parlant d'ijara, il est utile de noter que l'article 18 ouvre la voie au loyer variable, à condition que l'indice de référence de cette variation soit mentionné dans le contrat et que le plafond et le palier soient connus. L'ijara ne dérogeant pas aux principales règles du CSO, elle pourra aussi faire l'objet d'une promesse contraignante formulée par le client (article 24), de même qu'un ''haamish al jiddiyah'' (article 25). Il est à noter que la vente doit avoir lieu dans un contrat séparé en cas d'ijara muntahiya bittamlik (article 28). En termes de procédures, la banque pourra donner une procuration (wakala) à son client pour récupérer le bien qu'elle aura acquis et qu'elle lui louera immédiatement, auprès du fournisseur initial (article 30), une mesure souvent controversée en orient.
       Venons en aux produits participatifs, par essence, que sont la musharaka et la mudaraba. Ce qui attire l'attention dans la première avec l'article 40, c'est l'impossibilité dans le cadre d'une musharaka dégressive (souvent utilisée dans l'immobilier comme alternative à la murabaha) de promettre le rachat ou la vente des parts, et encore moins à un prix prédéterminé, "avant la signature du contrat musharaka". Cette précision est troublante dans la mesure où elle implique que ce sera possible juste après la signature du contrat, avec des incidences risquées en termes de conformité.
       Le cinquième et dernier contrat évoqué par le circulaire est le contrat salam, l'istisnaa étant reporté sin die. La première surprise vient de l'article 56 qui permet de procéder au contrat salam sur l'or et l'argent, dans le même esprit que le contrat murabaha sur cette orientation. Une orientation qui fera couler beaucoup d'encre très certainement, tant elle déroge aux normes connues jusqu'ici. Le contrat salam peut également porter sur les biens manufacturés assez communs et très disponibles (modèles standarts de téléphones, de voitures...), selon l'article 59. La banque aura ici également le droit de donner procuration à son client pour revendre le bien objet du salam directement après son achat auprès du fournisseur (article 69), en phase avec la question du ''qabd hukmi''.
       Cette circulaire est conclue par l'interdiction de la transaction ''al iina'' très en vogue jusqu'à 2013 en Malaisie, et l'interdiction du tawarruq organisé (article 72), interdit par l'académie internationale du fiqh en 2009, mais très pratiqué par certaines banques du Golfe et surtout en Malaise. Cette dernière transaction est un outil d'endettement à grande échelle, et de levier dans le cadre des marchés financiers. Sa mise à l'écart est salutaire. Subtilement, le terme organisé implique que le tawarruq classique sera possible.

       La seconde circulaire concernée par le récent BO concerne les comptes d'investissement. Ces derniers sont des comptes de dépôt de clients qui sont réinvestis en conformité avec la sharia. Contrairement aux comptes d'épargne, ils font donnent au déposant les profits mais aussi les pertes liées à ces investissements. Ils peuvent être restreints à un segment ou secteur précis, ou non restreints (article 5). Il est à relever que la mesure est tellement nouvelle que BAM a demandé (article 12) aux banques d'écrire ces éléments liés à ces comptes en caractères plus gros que le reste du contrat! Précisons que les pertes ne peuvent être couvertes par des mécanismes tels que les dons de tiers (article 18), ce qui est une bonne nouvelle pour le marché des sukuk, qui devrait s'aligner sur cette vision retenue par le CSO. Une dispositions qui est, pour le coup, bien originale dans le contexte des pratiques actuelles en finance islamique.

       La dernière circulaire concerne, elle, les fenêtres participatives. Elle précise que la direction doit comporter au moins un membre qui maîtrise la finance participative, de même pour le management. Mais rien n'est dit sur les critères retenus pour distinguer qui maîtrise, du reste. Elle précise également que les fenêtres participatives ne doivent pas changer leur visuel, mais peuvent adopter de petits logos annexes en plus de leur visuel principal, pour distinguer ces agences des autres (article 11).

       Les circulaires sont, en somme, assez en phase avec les pratiques internationales de la finance islamique, et n'apportent pas de nouveauté majeure, si ce n'est l'interdiction salutaire du tawarruq organisé, l'interdiction salutaire de couvrir les pertes par un don d'un tiers, mais aussi la permission controversée de la vente à terme et du salam sur l'or et l'argent. En validant les pratiques déjà communes de promesse contraignante, de haamish al jiddiyah et de wakala donnée au client pour récupérer le bien acheté directement chez le fournisseur, les circulaires ancrent le fonctionnement des futures banques participatives dans le cadre déjà mis en place par les pratiques du Golfe. La reprise du Qabd Hukmi consolide cet état de fait, qui permet de conclure que la finance participative marocaine ressemblera à près de 90% aux pratiques déjà connues par ailleurs. Un gage de stabilité et de risque maîtrise pour certains, un manque d'ambition et de lucidité pour d'autres. Les pratiques des opérateurs viendront clarifier les constats préliminaires, de toute évidence.


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