C'est fait. Le projet de loi relatif aux banques participatives a passé une étape importante après sa validation au conseil du gouvernement. Tout porte à croire que l'année 2014 sera celle de l'arrivée au sein du paysage financier de cette innovation très orientale comme on n'en avais pas vu depuis longtemps. Mais concrètement, que peut nous apporter la finance islamique?
Sukuk, Musharaka, Ijara sont désormais des mots que vous pourrez retrouver dans les dictionnaires européens, qui depuis aljabr, alchimie ne s'étaient plus beaucoup enrichis de termes à consonance arabe, signe du déclin de cette civilisation qui n'a plus su exporter ses concepts.
Le public est très large, et l'un des objectifs principaux que se fixe le gouvernement avec l'introduction de ce nouveau type de financement est l'accroissement de la masse monétaire au sein du circuit bancaire, avec l'augmentation du taux de bancarisation. Mais concrètement, que peux apporter cette finance participative à un paysage financier marocain réputé plutôt mature au sein de la région?
Il faut dire que les solutions financières sont une panoplie. Des marchés des capitaux aux financement des TPE en passant par le financement du BFR de PME sans oublier le financement de la consommation et l'ingénierie financière. On peut généralement classer ces modes de financement selon les bénéficiaires, qui se décomposent généralement en 2 grands blocs:
- Les entreprises: Ce sont les poumons de l'économie, les vrais créateurs de richesses et d'emplois et leurs besoins sont très variés. L'un des principaux besoins de ces dernières est de se financer, or certaines pour des raisons pragmatiques ou de convictions évitent le financement basé sur l'intérêt, et l'introduction en bourse ne les attire pas particulièrement pour des raisons qui leur sont propres. Elles peuvent bénéficier de solutions telles la Musharaka (financement participatif par excellence) qui peut servir à financer un nouveau projet, une sorte de joint-venture. La banque participative apporterait par exemple 70% du capital et l'entreprise 30% (si la banque apporte 100% cela se transforme en Moudaraba, aux conditions relativement similaires). L'élément intéressant dans ce mode de financement réside dans sa résilience économique et sa capacité d’absorption des chocs. Ainsi, en temps de croissance et de prospérité, les deux opérateurs se partageront les profits selon leurs apports. Mais ce qui est le plus intéressant, c'est en cas de perte. Ici la différence est fondamentale dans la mesure ou la banque participative perd aussi en cas de retournement, contrairement aux financements classiques où les charges d'intérêt pèsent même en cas de perte sur l'entreprise à elle seule. Ce mode de financement est le cœur de la finance islamique mais n'est pas la panacée des opérateurs, qui justement ne se sont pas assez imprégnés de cette notion de partage du risque. Ainsi, la Musharaka représente généralement moins de 10% des opérations des banques participatives, ce qui gagne à être sérieusement travaillé, et le Maroc peut être un exemple qui pourrait éventuellement s'exporter en la matière, si le législateur fait en sorte que cette transaction ne soit pas marginalisée au profit des transactions basées uniquement sur la dette et donc moins risquées mais aussi moins créatrices de richesses et plus procycliques en termes de chocs.Les entreprises n'ont cependant pas toujours besoin d'argent pour financer un projet. Dans certains cas, c'est un manque de liquidité pour s'approvisionner ou pour alimenter la trésorerie. Dans ces cas là, des transactions comme le Salam (vente prépayée avec livraison à terme, assimilable à une vente à terme avec paiement au comptant obligatoire), à travers laquelle l'entreprise peut vendre une matière première fongible, se faire payer en avance et utiliser cet argent pour son BFR.
L'entreprise peut également se faire livrer des marchandises par la banque participative et payer à échéance, à travers la Mourabaha (vente avec paiement en différé), car l'une des différences fondamentales avec la banque classique c'est qu'en finance islamique, la banque a vocation à faire du commerce et de l'investissement, plus que cela, c'est le cœur de son activité, une perspective relativement nouvelle par rapport à notre conception classique des banques pour qui le commerce est proscrit. La finance islamique a ainsi plus pour mérite et pour rôle de remettre au centre du jeu des modes de financement marginalisés plutôt que d'inventer de nouveaux modèles.
Enfin, au niveau des marchés des capitaux, c'est la titrisation qui intéresse le plus les entreprises dans la mesure ou cela permet de se financer par les sukuk sans endettement, c'est l'equity finance. Les sukuk sont des structurations de transactions réelles, adossées à des actifs réels et non à de la dette comme c'est le cas des obligations. Le monde des sukuk est un monde à lui seul dans la mesure ou son poids financier est dépasse les 100 milliards de dollars. Ces modes de financement sont très propices également pour le secteur public qui peut lever des fonds considérables, sans pour autant accroître son endettement. Là encore, ces produits sont déjà connus, (asset backed securities) mais peu communs devant le colosse de la dette. - Les particuliers: La société en général est très demandeuse de financements, beaucoup pensent que la finance islamique c'est le crédit gratuit (le qard hassan) ce qui est une idée reçue particulièrement erronée sur l'industrie. En effet, les banques participatives sont encouragées (voir obligées) dans certains pays à proposer des prêts sans intérêt, mais cela est réservé seulement aux couches les plus défavorisées de la population et ce n'est pas une activité lucrative. Ces banques ont par définition une activité à but lucratif. En général, le ménage cherche un financement immobilier, ménager ou auto. Les modes opératoires les plus adéquats, par ordre de préférence, sont la Moucharaka dégressive, l'Ijara (qui diffère du leasing en plusieurs points) et la Murabaha. La Moucharaka dégressive permet à la banque participative d'acquérir un bien en partenariat avec le client, par exemple 90% / 10%, et de lui louer la partie qui ne lui appartient pas, tout en lui revendant progressivement des parts, et si le montage est bien fait, cela peut revenir bien moins cher que le crédit classique. Chaque co-propriétaire supporte sa part de risques et d'entretien liée au bien.
L'ijara, elle, est une opération de location avec possibilité de vente à terme (promesse mais non contraignante) à travers un contrat de vente à part et séparé ou un contrat de don pur et simple, vu que le droit islamique proscrit la combinaison de deux contrats aux responsabilités opposées (location/achat).
Enfin, la Murabaha, controversée, est la transaction qui a le plus pignon sur rue, mais qui présente le moins d'innovation et de valeur ajoutée selon les experts, dans la mesure ou mis à part le fait que le financement à terme est adossé à un actif réel et non à de la monnaie (ce qui a du sens au niveau de la titrisation de créances et lors des retournements économiques) et que les pénalités de retard sont proscrites, c'est une double transaction qui permet de passer par une porte de sortie considérée comme licite par les opérateurs contemporains et éviter l'intérêt. Mais ces mêmes experts sont unanimes à dire que c'est vers la Musharaka qu'il faut se tourner si on veut vraiment avoir une finance islamique forte et crédible pour le futur.Par ailleurs, il ne faut pas oublier le particulier commerçant et entrepreneur, l'innovateur au sens schumpeterien, qui représente plus de 90% du tissu économique, et celui là peut grandement tirer profit des solutions financières participatives dans la mesure ou le cadre classique ne lui prête en général pas attention du fait de son profil risqué et du manque de garanties hypothécaires qu'il peut présenter. Et c'est sur celui-là que la finance participative peut constituer un levier puissant de croissance, d'innovation et d'essor économique, à condition encore une fois de privilégier l'aspect participatif et non l'aspect endettement. Les solutions comme le Salam, la Moudaraba, la Moucharaka, l'Istisnaa, l'Ijara, l'Ijara prépayée et beaucoup d'autres peuvent s'adapter à ce profil, sans oublier la Mouzaraa pour les agriculteurs qui représentent une force vive de la nation.
Ce sont en somme de nombreuses solutions qui peuvent permettre au Maroc et aux différentes composantes de la société marocaine de trouver un nouveau souffle considérable avec l'arrivée de cette finance, mais cela ne peut se faire efficacement que si ces 10 conditions sont respectées:
- Ouvrir le marché à plusieurs (et non un) opérateurs étrangers afin d'éviter une situation de monopole de fait
- S'inspirer de certaines "best-practices" dans certains pays qui remettent aux banques des ratios ou fourchettes pour chaque transaction et afin de renforcer le financement de l'investissement par rapport au financement de la consommation qui est en général une fuite nette de devises sans création de valeur pour le pays et avec peu d'emploi à la clef. Ainsi certains législateurs ont demandé aux banques de ne pas dépasser 30% ou 50% de produits destinés à la consommation, et de consacrer au moins 30% voire 50% de leurs opérations au financement de l'investissement (Moudaraba, Mouzaraa, Mousharaka non destinée à la consommation...) ce qui permettrait éventuellement au Maroc de devenir un benchmark mondial
- Mettre en place au moins une neutralité fiscale pour les banques participatives par rapport aux banques conventionnelles afin qu'elles puissent évoluer dans un environnement qui n'est pas défavorable de prime abord
- Bénéficier de 40 ans d'expertise internationale (succès et échecs) afin de ne pas trop perdre de temps à vouloir réinventer la roue, et notamment des prescriptions des grands organismes sommets en la matière (Majmaa Al Fiqh OCI, AAOIFI, conférence Al Baraka...)
- Ne pas laisser de coté la micro-finance islamique qui est au cœur de la finance islamique et des objectifs de solidarité initiaux de la discipline
- Faire appel à des ressources humaines initiées à la discipline afin d'éviter inconsciemment le calquage du modèle classique
- Lancer rapidement un marché des sukuk qui permettra aux banques de gérer leur liquidité à court et à moyen terme
- Appréhender de manière quasi-simultanée le marché de l'assurance solidaire (Takaaful) sans lequel on ne peut concevoir de banques participatives
- Aider les banques conventionnelles et les opérateurs financiers qui souhaitent s'investir dans le domaine par des incitations, afin d'atteindre cette ambition qui est de faire du Maroc un hub financier régional en la matière et une place qui attirerait des capitaux dans le futur
- Ne pas oublier l'aspect social, solidaire et de simplicité de la finance islamique, sans quoi, l'expérience pourrait ressembler à celle de certains pays qui ont dénaturé la discipline ce qui a conduit certains de ses fondateurs à se désolidariser des récentes évolutions de la finance islamique dans certains pays.
La finance islamique n'est plus une alternative possible. Son poids dans la finance mondiale est de plus en plus conséquent et l'intérêt des occidentaux dans cette finance est la meilleure preuve des potentialités qu'elle présente pour l'avenir de l'économie mondiale en terme de stabilité et de rentabilité.
وشمائلٌ شَهِدَ العدوُّ بفَضْلِها والفضلُ ما شَهِدَتْ به الأعداءُ
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